PHYSIOLOGIE |
PHYSIOLOGIE CARNIVORE |
Des proies il y en a en grand nombre. Voici ce que disent les divers auteurs
quant à leur nature:
Dans la nature les urnes sont souvent remplies de proies et cela même dans des
ascidies
forcément jeunes (car repérées trois mois seulement après un incendie qui avait déblayé
le terrain !).
Comment toutes ces proies sont-elles amenées à se faire prendre ? Les insectes
ailés ont subi une coévolution avec les plantes à fleurs. Ces dernières les utilisent
pour leur pollinisation. tout en les récompensant avec du nectar. La présence de
fleurs est signalée par leur parfum et par leur couleur. Cette dernière est souvent
en rapport avec l'accessibilité du nectar qui conditionne quel type d'insecte est
capable de butiner telle fleur. Le blanc signifie "nectar très accessible" c'est à
dire non-réservé à des butineurs spécialisés comme les abeilles ou les bourdons.
La couleur blanche de la face inférieure du couvercle pourrait bien être un signal
attractif pour toute une gamme d'insectes. La position exacte du nectar est balisée par
des marquages convergents que nous percevons souvent comme des taches sombres
mais où les insectes perçoivent aussi de l'ultraviolet (qui est très attractif pour
eux). Les marques convergentes de la face inférieure de
l'opercule
semblent être de ce type. Elles dirigent probablement les insectes volants vers
l'entonnoir glissant - et vers leur perte ! -. La coloration pourpre du corps de
l'urne semble moins importante: les teintes rougeâtres ne sont guère perçues par les
insectes. Les jeunes urnes (les seules qui soient fonctionnelles) sont plutôt vertes
d'ailleurs et HAMILTON qui est bon observateur
signale que ces dernières attirent autant d'insectes que les colorées. La présence
d'aréoles translucides dans
l'opercule
est inexpliquée. Trompent-elles les insectes dont la vision primitive croit y
distinguer des coins de ciel vers où ils tentent de voler au lieu de quitter le
péristome par la fente séparant ce dernier de l'opercule ?
Ou l'image réfléchie des aréoles dans le liquide des urnes encourage-t-elle les
proies à descendre vers la cavité digestive ? Les deux théories pourraient
s'appliquer aux urnes de type juvénile dont les aréoles sont très étendues et
presque transparentes. Les fenestrations de
l'opercule
adulte me semblent vestigiales vu la position semi-verticale du couvercle.
Ou renforcent-elles les marquages sombres en diffractant l'ultraviolet du ciel ?
La quasi entièreté des surfaces exposées de Cephalotus est dotée de
petites glandes toutes de même type sur lesquelles une observation soigneuse démontre
la présence de minuscules gouttelettes de sécrétion insipide. Des insectes ont été
surpris léchant les glandes. Cependant si la composition de ces sécrétions est
inconnue on peut tout de même dire qu'il ne s'agit pas seulement d'eau. Des restes
séchés de solutés sont bien visibles sur les coupes à frais de glandes avec des
mycelia de moisissures bien souvent. Les glandes ne donnent pas de coloration
histochimique franche pour les sucres du moins avec les techniques anciennes
(réduction de la liqueur de Fehling) mais on observe tout de même une vague nuance
rouge brunâtre qui est absente des cellules voisines. Sans doute est-on autorisé à y
voir des glandes à nectar. Les sécrétions semblent inodores. Il n'en est pas
forcément de même pour les insectes.
La présence de poils et de crêtes sur diverses parties de la plante n'a jamais
fait l'objet d'une étude approfondie. Personne ne semble s'étonner de trouver sur les
pétioles
en même temps des poils (défensifs-répulsifs ?) et des glandes à nectar (attractives).
C'est peut-être un caractère vestigial. Les poils de la face adaxiale de
l'opercule
doivent décourager les insectes à s'attarder en ce lieu où ils ne risquent guère
d'être capturés. Les crêtes garnissant le corps de
l'ascidie
jouent certainement un rôle mécanique de soutien: les parois ici semblent nettement moins
rigides que chez les Sarracénias et sur tout chez les Népenthès. Mais le fait
qu'elles sont garnies de poils montre que les crêtes ont un rôle de
guidage des proies vers le
péristome.
Le bord élargi de la crête médiane a pu faire croire qu'il s'agissait là d'une
espèce de chemin amenant les insectes jusqu'à l'entrée de l'urne. Je sais par mes
propres observations que c'est bien le cas chez les Sarracenia dont le
péristome
en forme de rouleau n'est pas aisément accessible pour les tout petits arthropodes
rampant sur les parois de
l'ascidie.
Mais le problème n'existe pas chez Cephalotus et
HAMILTON signale n'avoir jamais observé
d'insectes sur les crêtes. Il est probable que celles-ci évitent que les insectes
ne tournent en rond sur les urnes en s'abreuvant jusqu'à satiété. Grâce aux rangées
de poils ils doivent ou monter vers le
péristome
ou descendre vers la face inférieure (munie de poils répulsifs) ou vers le sol
(dépourvu de nectar... ).
En moyenne beaucoup de visiteurs finiront par monter . S'ils font mine de se diriger
vers la face supérieure de
l'opercule
ils trouveront à nouveau leur chemin barré par une rangée de poils !
On voit donc que Cephalotus est capable d'attirer vers son
péristome
les insectes volants (balisage parfum ?) et leurs congénères rampants (nectar).
Pour les premiers la face inférieure de
l'opercule
est recouverte d'un épiderme en écailles sans doute très glissant et riche en glandes
attractives. La densité de celles-ci atteint un maximum sur le
péristome
lui-même que ce soit sur sa partie ondulée massive ou sur les dents. Les
quantités de sécrétions sont telles que chez les jeunes urnes fonctionnelles
toute la surface est couverte d'une nappe confluente de nectar.
L'aspect vernissé qui en résulte ne doit pas être confondu avec celui similaire
des collerettes de Nepenthes où il est dû à la présence d'une cuticule
vitreuse. Il n'est pas étonnant d'observer des insectes volants s'approchant
planant revenant plusieurs fois puis se posant sur le
péristome
où les insectes s'attardent en général. Même le fait de boucher une
ascidie
avec de l'ouate ne décourage pas les mouchettes qui s'insinuent entre les dents
pour boire le nectar. Comme pour d'autres plantes à
ascidie
on a décrit ici le comportement bizarre voire ébrieux des insectes en train de
s'abreuver. Ceci est souvent attribué à la présence de substances soporifiques dans
le nectar mais il pourrait s'agir d'une frénésie alimentaire normale. Rôle
supplémentaire du nectar il rend le
péristome
et ses dents extrêmement glissants. De plus il peut dégouliner sur l'entonnoir
situé juste en dessous ce qui explique que des insectes aient pu être observés lèchant
cette zone dépourvue de glandes. Il n'est pas clair pourquoi les proies se risquent
dans cette région: suivent-elles tout simplement les indications des balises de
l'opercule ?
ou un parfum provenant de la cavité digestive ? (voir plus loin).
Reste à préciser l'utilité des dents du
péristome.
Celles-ci sont bien trop grosses pour empêcher la sortie de proies de la taille
de celles que capture Cephalotus. Les petits étriers en forme de demie lune
que nous avons signalés dans cette zone et qui offrent appui aux pattes des insectes
doivent donner une fausse impression de sécurité.
Les insectes progressent goûtant du nectar abondant. Mais lorsque la dent se courbe
fortement vers le bas les étriers deviennent inutiles car rappelons qu'ils sont
dirigés vers la pointe de la dent ! Les proies se retrouvent en position précaire
loin des parois auxquelles elles auraient pu se raccrocher et tombent droit
dans la cavité digestive. Dans le cas des petites urnes de type juvénile il n'y a pas de
péristome
pas de dents pas de glandes à nectar sur le rebord de
l'ascidie.
Les proies doivent tenter d'atteindre les sécrétions de la face inférieure de
l'opercule.
Glissant sur l'épiderme à écailles de ce dernier elles tombent dans le fond de l'urne.
Le couvercle est d'ailleurs beaucoup plus horizontal que dans les urnes de type
adulte. Les
ascidies
juvéniles capturent effectivement de petits insectes.
Quel est le sort des captures tombées dans le fond de l'urne ? Il y a là
une quantité de liquide incolore de 2 à 5 cm3 selon la taille de
l'ascidie.
A priori ce liquide doit provenir des nombreuses glandes qui parsèment les
deux tiers supérieurs des parois de la cavité digestive. Rappelons qu'elles
ont la même morphologie que celles qui produisent le nectar des
parties externes de la plante. MACFARLANE
(1910 p.10) avait déjà noté le goût sucré du liquide des urnes et
LLOYD (1942 p.88) a effectivement observé
la production de gouttelettes sur les parois soigneusement essuyées après vidange de
l'ascidie.
Il note la corrélation entre la taille des gouttes et celle des glandes productrices.
Quant à l'histochimie elle démontre la présence de phosphatase
acide
dans les plasmalemmes et les
vacuoles
des cellules sécrétoires des grosses glandes. Cet
enzyme
se trouve classiquement dans les glandes sécrétant du nectar (par exemple chez
Sarracenia) de l'eau ou du sel.
La présence de nectar dans une partie inaccessible de la plante est assez
surprenante! Si le nectar de Cephalotus possède une odeur pour les insectes il
pourrait attirer les proies vers l'intérieur de l'urne. Mais on connait aussi des cas
par exemple celui des fleurs de Nepenthes où le nectar contient des
enzymes.
Le liquide de Cephalotus aurait-il des propriétés digestives?
C'est un problème fort mal étudié jusqu'à présent. Dans les années 80 du siècle
dernier un certain LAWSON TAIT
déclara avoir récolté le liquide contenu dans des
ascidies
scellées. Ce liquide aurait été fort
acide
et contenait une substance capable de digérer de petits cubes de blanc d'oeuf.
Or il est douteux que des urnes fermées contiennent suffisamment de sécrétions
pour faire de telles expériences et on n'a jamais retrouvé de liquide
acide
chez Cephalotus.
En 1919 W.J. DAKIN publia une
étude détaillée effectuée avec les moyens de campagne de l'époque et dont
l'importance justifie que nous donnions le
détail des expériences dans un tableau propre.
On voit que le liquide des ascidies devient capable de digérer de la fibrine
(une protéine du sang) seulement après acidification pas trop importante
(0.1cc HCl marche mieux que 0.2 cc !). Quel est I'agent permettant la digestion ?
Ce n'est pas
l'acide
lui-même car mise dans de l'eau acidifiée la fibrine n'est pas digérée.
La digestion a lieu même après adjonction de cyanure qui tue les bactéries
contaminant le liquide. Il doit donc y avoir des
enzymes
dans la sécrétion de Cephalotus. Pourtant la recherche de protéines dans
le liquide (avant digestion) ne donne que des concentrations très basses (série
d'expériences n° 15). On aurait pu s'en
douter car le liquide de Cephalotus n'est pas visqueux comme ceux
très riches en
enzymes
de Nepenthes et des pièges activés de Dionée. Les faibles quantités
d'enzyme(s)
présentes ici ne proviennent d'ailleurs pas obligatoirement du Cephalotus lui-même:
bien des bactéries communes sécrètent des
enzymes
extracellulaires! Si l'on a tué ces microbes avec du cyanure les
enzymes
sécrétés préalablement vont persister et peuvent expliquer les résultats
expérimentaux de DAKIN. Plus récemment
(1985) un amateur Robert RIEDL a refait
le même type d'expérience. Il a comparé macroscopiquement
la digestion dans des urnes laissées à elles-même et dans d'autres "stérilisées" à
l'aide de pénicilline et de streptomycine. Le degré de digestion apparut identique
dans les deux groupes et l'expérimentateur en conclut à l'existence
d'enzymes
sécrétés par la plante. Mais la même objection peut lui être faite qu'à DAKIN:
les protéases solubles pouvaient tout aussi bien provenir de la flore
microbienne présente avant désinfection. PARKES
(1980) a d'ailleurs isolé chez Cephalotus un Pseudomonas producteur
de protéase extracellulaire active en milieu légèrement
acide.
De toute façon quelle que soit l'origine des
enzymes
le liquide des
ascidies
n'est pas
acide
et on ne voit pas comment ces protéases pourraient être activées - ou du moins
on ne voyait pas jusqu'à ce que des données très récentes et inédites viennent
quelque peu changer les données du problème -.
C'est en effet des glandes stomatiformes qu'est venue la surprise.
Nous avons décrit ces structures ressemblant à des stomates dont la chambre
aérienne serait comblée par une cellule glandulaire. Ces glandes ne se trouvent
que sur les "taches glandulaires" deux bourrelets horizontaux (quand
l'ascidie
est dans sa position naturelle appuyée obliquement contre le sol).
De tels stomates aquifères sont connus ailleurs dans le règne végétal où ils
absorbent ou sécrètent de l'eau. Ce rôle fut attribué très tôt aux glandes de
Cephalotus. MAURY (p.167) fait
d'ailleurs remarquer que le niveau d'eau de l'urne ne monte pas plus haut
que les taches latérales. C'est DAKIN (p.45)
qui a postulé pour les glandes stomatiformes un rôle dans la régulation de la
quantité de liquide dans
l'ascidie
et qui fait des taches latérales des organes d'absorption. En observant la
production de gouttelettes de nectar par les grosses glandes
LLOYD (1942 p.88) a aussi remarqué l'absence
de sécrétion au niveau des glandes stomatiformes. Le phénomène d'absorption est
très facile à mettre en évidence même pour un amateur.
En ajoutant du bleu de méthylène au liquide de l'urne vivante puis en observant
au microscope on voit que le colorant est absorbé avec une extrême avidité par
les glandes stomatiformes. Il ne pénètre que très peu dans les glandes à nectar.
Voici donc où en étaient nos connaissances avant 1980 : les insectes tombés de
l'entrée se retrouvent dans le liquide du fond de l'urne. Vu la présence d'une
cuticule glissante sur les parois de la cavité digestive puis le rebord et la
surface inescaladables de l'entonnoir ils ne peuvent ressortir.
Ils ne tardent pas à couler à cause de l'effet mouillant du liquide sans doute
causé par la présence de petites quantités de protéines (qui sont tensioactives).
On a même signalé un effet paralysant de ce liquide.
L'eau qui avait été sécrétée par les glandes à nectar de la cavité est
résorbée au fur et à mesure par les glandes stomatiformes probablement avec
les produits de la digestion. Les modalités de cette dernière demeuraient
inconnues. En tout cas la structure des glandes stomatiformes apparaissait
bien adaptée à leur fonction de résorption. Nous avons noté la perméabilité
de la paroi épaissie superficielle (le "bouchon" ostial) de la cellule
glandulaire et l'existence d'une zone imperméable dans ses parois latérales:
celle-ci évite que des substances diffusent n'importe comment dans le
parenchyme. Les glandes sont accompagnées de cellules-réservoir formant un
réseau sous-épidermique. Ceci permet la distribution rapide et l'évacuation du liquide
résorbé. L'énergie requise pour les mécanismes de transport de l'eau et de
solutés est fournie par l'utilisation des grains d'amidon présents en abondance
dans la mésophylle. Le stockage des fluides dans le parenchyme est sans doute
la raison d'être des bourrelets latéraux.
Il est possible que l'eau soit réutilisée immédiatement pour les sécrétions
des grosses glandes à nectar plutôt qu'évacuée vers le phloème. Nous ne savons
rien des possibles mécanismes de régulation de ce cycle local de l'eau.
C'est en 1980 que parut le travail de PARKES qui allait encore compliquer les choses. Cet auteur découvrit effectivement les enzymes digestifs de Cephalotus et dans un endroit assez inattendu : pas dans les glandes à nectar mais dans les glandes stomatiformes ! Les enzymes décelés sont:
Reste à expliquer comment ces
enzymes
peuvent atteindre leurs substrats dans les proies ! On a le choix entre deux
modèles qui ne s'excluent pas mutuellement. Le premier implique une diffusion des
enzymes
hors des parois de la cellule glandulaire vers le liquide de la cavité. Cette
hypothèse suscite plusieurs objections. D'abord dans les autres
espèces
carnivores
les cellules sécrétant des
enzymes
produisent aussi du liquide dont le flux entraîne ceux-ci hors des parois
cellulaires. Nous avons vu que les glandes stomatiformes n'excrètent pas de liquide.
La simple diffusion hors des glandes submergées pourrait être un mécanisme
primitif développé par Cephalotus. Ensuite il y a la faible teneur
protéique du liquide digestif peut-être en relation avec le point précédent.
Il y a évidemment aussi les expériences de DAKIN démontrant une digestion
seulement après acidification artificielle du liquide. On peut se demander
si le substrat utilisé la fibrine était un si bon choix et si
l'acide
ne permettait pas le ramollissement préalable de cette dernière (observé
aussi dans l'eau acidifiée exp. n°13 !)
plutôt que l'activation des
enzymes !
Deuxième modèle possible : les bouchons ostiaux sont gorgés
d'enzymes
et digèrent les proies flottant à leur contact. Elles y sont peut-être amenées
par le flux d'eau résultant de l'intense résorption de liquide par les bourrelets
latéraux. L'avantage de ce système serait d'éviter de devoir sécréter de grandes
quantités
d'enzymes
de façon à en saturer le liquide. Le nécessaire contact avec les proies est un
défaut. Un tel mécanisme permettrait pourtant d'expliquer les observations de
DAKIN. Dans les glandes de Dionée de Droséra ou de Népenthès la sécrétion
d'enzymes
s'accompagne d'une production d'
acide.
Ce pourrait bien être le cas dans les bouchons ostiaux de Cephalotus.
D'autre part les fuites
d'enzymes
vers la cavité de l'urne semblent inévitables. Il se pourrait donc que ce
soient eux les responsables de la digestion après acidification phénomène
observé par DAKIN. Ces protéases (etc. ) seraient actives dans l'ambiance
acide
des bouchons ostiaux mais non dans le liquide neutre de
l'ascidie
sauf quand ce dernier est acidifié artificiellement!
Noter cependant qu'il peut en être de même pour les
enzymes
sécrétés par les bactéries... Si les glandes stomatiformes ne digèrent que par contact
on peut se demander pourquoi l'urne possède la forme qu'elle a. Une cavité conique au
fond de laquelle viendraient s'enclaver les proies semblerait plus efficace.
Quelques expériences s'imposeraient utilisant des plantes axéniques
(facilement disponibles in vitro à l'heure actuelle) et des marqueurs radio-actifs.
Il faudrait aussi différencier la digestion de proies appliquées contre la paroi et
d'autres maintenues au centre de la surface du liquide.
Ces expériences devront aussi préciser la chronologie de la phase
fonctionnelle de l'urne. Vous avez peut-être déjà remarqué que les jeunes
ascidies
scellées de Nepenthes et de Sarracenia commencent à produire
des gouttelettes de sécrétion digestive peu avant l'ouverture de
l'opercule.
La production de nectar sur les parois externes est plus précoce celle des
régions entourant l'entrée démarre dans les jours qui suivent l'ouverture. La
production de liquide
acide
dans les urnes est transitoire. Chez Cephalotus la production du liquide
digestif ne semble commencer qu'après l'ouverture quoi qu'en disent
LAWSON TAIT et
ADAMS & SMITH (p.271).
LLOYD (1942 p.88) n'a jamais trouvé
de liquide dans des urnes scellées c'est aussi mon cas. Le liquide des urnes
ouvertes depuis peu et qui ont un
péristome
luisant de nectar est tout à fait limpide et incolore. Il tend à le rester si
les captures ne sont pas trop abondantes. Il n'y a pas d'odeur de décomposition
normalement bien qu'un article récent considère ce genre d'odeur comme un
facteur stimulant les proies à entrer. On peut se demander pourquoi le liquide ne
croupit pas rapidement. Peut-être les substances nutritives sont-elles résorbées
si énergiquement qu'elles ne peuvent amorcer de chaîne écologique. Ou y a-t-il
production de substances antiseptiques ? En tout cas la présence de bactéries
augmente avec l'âge de l'urne et avec le nombre de captures. Le liquide devient
un bouillon de culture où l'on trouve des infusoires et des algues vertes
(Protococcus ?). Ce dernier a vu des mouches (Tabanidae)
pénétrant dans les
ascidies
sans doute pour pondre car on y signale leurs larves. Il y a plus fort :
en marchant dans les marais HAMILTON
aperçut une grenouille effrayée qui tentait de se cacher dans une urne beaucoup
trop petite pour elle. On peut d'ailleurs trouver dans le liquide des
ascidies
des pontes de grenouilles ! Quant aux escargots et aux cloportes faut-il les
considérer comme des proies ou comme des hôtes non-conviés?
Je trouve de temps en temps des cloportes vivants dans les urnes de mes plantes.
Ils paraissent y vivre sans dommage mais EICHLER (p. 194) en signalait de noyés.
Devant la présence de cette faune on a conclu un peu vite que le liquide
de Cephalotus n'est pas digestif. C'est oublier que les urnes hébergeant
ces animaux avaient sans doute dépassé leur phase fonctionnelle ! Il serait
intéressant de savoir jusqu'à quel moment les glandes stomatiformes restent
capables de résorber des solutés et si l'activité des hôtes sur les proies véritables
relaie en quelque sorte celle des
enzymes
du Cephalotus lui-même. Cela ne me semble pas impensable dans la mesure
où la régulation du niveau de liquide continue à fonctionner même dans les
ascidies
plus âgées.
Nous clôturerons ce chapitre en tentant de faire un sort à une affirmation
qu'on trouve ça et là et qui me semble fantaisiste. Certains auteurs prétendent que la
fermeture de
l'opercule
peut contribuer à empêcher l'évasion des captures ! Le mouvement du couvercle est
un signe précoce de fanaison qui en culture demande un arrosage immédiat car sinon
il devient irréversible. En Australie il s'observe par temps sec en été. Certains
pensent qu'il s'agit d'un moyen de réduire l'évaporation du liquide des
ascidies
en cas de sécheresse. Mais les proies qui auraient réussi à escalader l'entonnoir
n'auraient aucune peine à se faufiler entre
l'opercule
(flasque) et les creux. du
péristome !
PHYSIOLOGIE DE LA FLORAISON |
Les fleurs commencent à s'ouvrir fin Décembre la floraison s'étalant sur
les mois de Janvier Février et même Mars. La floraison a donc lieu pendant les mois
les plus secs de l'année mais les conditions restent tenables dans les marais à
Cephalotus.
Au départ le sommet de la tige florale porte un gros bouton de 2.5 cm de
diamètre. Du bas de celui-ci se détachent successivement par croissance des internoeuds
de la tige les 9-14 branches du
panicule
floral. Ce sont donc les fleurs les plus basses qui s'ouvrent les premières.
Elles porteront des graines mûres avant même l'ouverture des dernières
fleurs au sommet de la tige.
Début Mars la minorité de plantes ayant fleuri porte de très longues tiges
florales: jusque 90 cm. 0n ne s'étonne pas de ces dimensions quand on voit
l'enchevêtrement de roseaux dans lequel vit Cephalotus ! Les 40-100 fleurs
portent chacune jusque 6 graines.
En culture dans l'hémisphère Nord la floraison a lieu en Juillet-Août.
L'apparition de la tige florale peut se faire dès le début de l'année avec un
allongement durant six mois !
Emergeant des massifs de roseaux grâce à la longueur des scapes les fleurs
semblent être pollinisées par les insectes. Pour les attirer il y a la couleur
blanche des sépale.s qui signifie (rappelons-le) "nectar très accessible". Il y
a aussi le fort parfum suave décrit chez Cephalotus et qui doit
être produit par les curieuses petites glandes pédiculées du disque floral.
MACFARLANE (p.445) écrivait en 1889
n'avoir jamais vu d'insectes autour des fleurs mais la pollinisation
par des moustiques ou par des guêpes-hélicoptères a été observée et même
photographiée ! LULLFITZ (p.35) note
d'ailleurs la présence de nombreux arachnides sur les
panicules :
des Chiracanthum venimeuses et des Diaea araignées des fleurs.
Elles doivent bien se nourrir d'insectes pollinisateurs !
Les fleurs de Cephalotus sont caractérisées par leur protérandrie
c'est à dire que les
étamines
mûrissent et libèrent leur pollen avant que les
stigmates
des
styles
(parties femelles) ne soient réceptifs. Ceci est un phénomène commun chez les
Saxifragacées. Les
étamines
alternes
des sépales qui sont un peu plus longues seraient aussi plus précoces. La
déhiscence
des
anthères
est longitudinale.
La pollinisation serait obligatoirement croisée) mais les expériences en culture
montrent qu'elle est possible entre les fleurs d'une même
hampe.
Voyons maintenant les modifications survenant dans la fleur après fécondation.
La courbure externe des
styles
va s'accentuer et ils vont se dessécher sans tomber toutefois. Il en va de même
des sépales et des
étamines
qui persistent encore lorsque les graines ont été disséminées. Les papilles
à la surface des carpelles vont commencer à croître et produire de longs poils
(même dans les fleurs non-fécondées comme je l'ai constaté). Les régions centrales
du disque floral s'enflent par allongement des cellules parallèlement à l'axe
floral suivi de nombreuses divisions dans le parenchyme. De ce fait les fruits
sont poussés vers l'extérieur et divergent.
Certaines cellules allongées à l'intérieur de la base du fruit se
déhiscent
facilement de leur attache sur le disque floral.
Lorsque la graine est mûre une déchirure apparaît près de l'enflure centrale du
disque puis gagne vers l'extérieur sectionnant le faisceau vasculaire qui pénétrait
dans le raphé de la graine. Les fruits poilus et légers comme du duvet sont entraînés
par le vent laissant des cicatrices bien visible sur le disque floral.
PHYSIOLOGIE DU DEVELOPPEMENT JUVENILE |
La germination n'a pas été décrite.
LULLFITZ (p.34) a observé des
plantules
dans la nature aux mois de Mars et début Avril. Il ne les a trouvées que
dans les parties marécageuses du biotope et presque toujours sur le matériel
fibreux détrempé et couvert de mousses au pied des touffes d'autres plantes. Les
plantules
ne possédaient pas de cotylédons bien qu'on pouvait voir les enveloppes des graines encore
attachées aux tigelles. MOON signale
aussi la difficulté que semblent avoir les cotylédons à s'extraire des graines.
Peut-être ne le font-ils pas dans la nature.
LULLFITZ note
qu'il y avait 4-5 fois plus
d'ascidies
que de feuilles
lancéolées.
Les urnes mesuraient 5 mm et plus. La racine ne faisait parfois pas plus de
3.5 cm et pouvait présenter 2 ou 3 ramifications près de la pointe (ce que j'ai
égaIement observé sur des
plantules
in vitro). Certaines
plantules
avaient pourri après germination.
Les urnes produites par ces jeunes plantes sont d'un type spécial auquel
nous avons déjà fait allusion.
L'opercule
est beaucoup plus riche en zones transparentes que chez l'adulte
et est à peine écarté du
péristome
simplifié. Cela a été interprété comme une mesure de protection contre
l'entrée d'eau de pluie. On n'a jamais expliqué la présence au niveau du
péristome
de petites dents verticales et. dépourvues des glandes à nectar décrites chez
leurs homologues adultes. Il semble que l'étroitesse de la fente entre
l'opercule
et l'entrée ainsi que la présence de dents sont des dispositifs destinés
à empêcher l'entrée de trop grosses proies. La digestion de celles-ci
dépasserait les capacités de si petites
ascidies
et la putréfaction des captures ne manquerait pas de se communiquer à la plante.
La vénation des petites urnes est plus simple que dans les grandes le nombre de
glandes est moindre car ces dernières sont de même taille que chez l'adulte.
Nous avons signalé qu'il n'y a que des glandes stomatiformes sur les
bourrelets latéraux des urnes juvéniles.
Ce type
d'ascidies
est produit pendant un certain temps. Au fur et à mesure que la
plantule
grandit les urnes augmentent de taille également. Les plus grandes
ascidies
juvéniles que j'ai vues mesuraient un peu moins de 2 cm. Ensuite commence la
production d'urnes de type adulte. Il n'y a pas d'intermédiaire entre les deux types.
La plante pourra fleurir à partir de la troisième ou quatrième année.
PHYSIOLOGIE DE LA CROISSANCE |
Cephalotus follicularis est célèbre pour sa faculté de produire
des feuilles non-carnivores. Celles-ci apparaissent en Automne. La cause
déclenchante de cette modification de feuillage est inconnue. En pleine
canicule de l'Eté 1989 une de mes jeunes plantes a commencé à produire
des feuilles
lancéolées
à un moment où elle avait été recouverte par
l'ascidie
d'une plante voisine. Le phénomène doit donc être déclenché par le manque de lumière
plutôt que par le froid. Cela est confirmé par le grand nombre de feuilles
lancéolées
sur les plantes croissant en situation ombragée sous les buissons ou parmi les
roseaux ou en culture). Au contraire les sites découverts portent des plantes
ne produisant que peu de feuilles plates.
Lorsque la plante produit les feuilles végétatives les
ascidies
de la saison précédente sont toujours présentes sauf dans les sites très exposés où
elles peuvent être abîmées ou fanées. Les urnes semblent résister au gel et même
à la glace mais le fait qu'eIles virent de couleur montre qu'elles ne sont plus
fonctionnelles. Les urnes vertes jaunissent les
ascidies
écarlates virent au rouge orangé.
Avec l'arrivée du Printemps la production d'urnes reprend et peut se poursuivre
jusqu'en Eté comme on le voit bien sur les terrains où ont eu lieu des incendies
estivaux et en culture.
Les feux de broussailles pourraient bien être indispensables à la survie de
Cephalotus en détruisant périodiquement la végétation concurrente. Le
rhizome
souterrain de Cephalotus résiste bien aux incendies. Cela explique la
récupération rapide et la production de nombreuses
ascidies
bien avant que le biotope soit à nouveau encombré. Dans l'observation de
Phill MANN le terrain complètement dénudé par
un incendie survenu trois mois auparavant ne comportait encore que de grands amas
de Cephalotus dont les urnes étaient remplies de captures. De plus chaque
touffe portait 10-12
hampes
florales ce qui témoigne de l'effet bénéfique du feu!
Intéressons-nous maintenant au développement des feuilles. Les stades
précoces sont encore mal connus. Les seules informations sont données par
EICHLER (pp. 194-195) qui a publié une
coupe du cône terminal de la tige avec son méristème apical et les premières
ébauches foliaires. La plus jeune n'est encore qu'un petit cône massif
quelque peu incliné vers
l'apex
de la tige. La seconde ébauche montre un stade plus avancé et qui est du plus
grand intérêt pour comprendre la formation d'une
ascidie.
Chez les Dicotylédones à feuilles "banales" l'ébauche foliaire originelle en
forme de cône massif tend à acquérir très tôt I'aplatissement qui produira le
limbe.
Ce dernier a deux faces évidemment: une face ventrale/adaxiale (c'est à dire
proche de l'axe de la tige si l'on rabat la feuille vers le haut)
et une face dorsale/abaxiale. Idem au niveau du
pétiole
dont la face ventrale est souvent aplatie voire
concave.
Les choses se présentent différemment chez Cephalotus. la croissance des
zones les plus latérales de la face dorsale du cône foliaire primitif tend
à s'étendre sur la face ventrale. Celle-ci ne deviendra pas
concave :
elle est en quelque sorte comblée par le bourgeonnement d'origine dorsale.
Résultat dans la partie proximale de l'ébauche de feuille à l'exception de l'insertion
amplexicaule
(qui est toujours bifaciale) il n'y a tout simplement pas de face ventrale!
La zone la plus distale de ce comblement forme un bourrelet qui n'est
autre que l'ébauche de
l'opercule.
Plus loin vers le sommet de la feuille la concavité existe et elle tend
même à s'accentuer très fortement: c'est la future cavité de
I'ascidie.
Remarquons qu'à ce stade le piège de Cephalotus se trouve avec
l'opercule
en bas. Ceci est la façon dont les choses sont présentées par
TROLL (1932a). Nous avons pris cet
auteur en défaut sur un point: la non-fusion des faisceaux vasculaires ventraux.
Rappelons que ce sont les nervures situées aux deux extrémités de l'arc vasculaire du
pétiole
qui fusionnent en cas de véritable unifacialité. La non-fusion signifie qu'il
pourrait persister une partie de la face ventrale du
pétiole
et du
limbe
cette dernière devant être cherchée dans
l'opercule.
Or il n'y a rien de correspondant à ce niveau. L'absence de fusion parfaite
ne se marque que par l'absence de nervure médiane dans le couvercle et peut-être
aussi par l'incisure apicale et le caractère bilobé marqué du couvercle dans beaucoup
d'ascidies
régressives.
Cette évolution précoce dépend de l'interaction correcte d'un certain
nombre de messagers chimiques présents dans les méristèmes. Si les conditions
extérieures de luminosité (et de température ?) ne sont pas correctes les ébauches
deviennent incapables de déployer complètement leur programme de différenciation.
La formation du bourrelet ventral s'effectue dans tous les cas mais l'hypertrophie
distale (qui doit former le couvercle) et le creusement des parties apicales
(cavité de l'urne) peuvent être absents ou déficitaires. Ainsi naissent des feuilles
défectives dont les plus simples les moins évoluées sont les feuilles en écaille
ensuite celles de type
lancéolé.
Des monstruosités à des stades plus ou moins avancés sont fréquemment notées chez
Cephalotus. Certaines présentent de curieux mélanges de stades archaïques
et de parties bien différenciées. Nous en avons parlé dans le chapitre
consacré à l'évolution de Cephalotus.
L'évolution des ébauches d'ascidies après les stades décrits ici est assez banale. Dès les phases les plus précoces des émergences de la surface externe produisent les crêtes médiane latérales et celles prolongeant les bords de l'opercule. Toutes ces structures sont localisées au-dessus de gros faisceaux vasculaires. La croissance du couvercle est plus lente que celle du corps de l'ascidie. Celui-ci finira par être nettement plus grand que l'opercule. Les monstruosités foliaires les plus communes perpétuent le stade primitif (et éventuellement archaïque) où la taille des deux structures est beaucoup plus comparable. En grandissant le couvercle va se courber et s'appliquer sur le creusement ventral de l'ascidie scellant la future cavité digestive. A ce stade les poils très courts du bord du couvercle pourraient jouer un rôle de barrière un peu comme les bouchons d'ouate utilisés pour fermer temporairement les éprouvettes pendant les manipulations bactériologiques. Les pointes des crêtes externes de l'urne se recourbent comme des crochets sur le rebord de l'opercule. Quant au poils de ces mêmes crêtes ils sont fort en avance sur la croissance générale du piège. Etant très longs ils protègent efficacement ce dernier. Les bourgeons de pièges ressemblent à de petits hérissons végétaux. |
Celles de 6 mm n'ont toujours pas de taches glandulaires. Leur entonnoir est
bien visible mais encore dépourvu de bord inférieur libre.
A 1 cm les dents du
péristome
sont formées le rebord de l'entonnoir se dessine et seul le crochet de la crête
médiane maintient encore le couvercle.
La pigmentation des dents puis du rebord inférieur de l'entonnoir et de
l'extrémité antérieure des bourrelets latéraux. va se développer.
Quant au développement des glandes il apparaît que les cellules columnaires
des glandes à nectar mais aussi et c'est surprenant la cellules occlusive des
glandes stomatiformes sont d'origine épidermique. Le reste dérive d'une différenciation de
cellules parenchymateuses. MAURY (p. 165)
décrit le développement des glandes à nectar externes mais il n'est pas clair s'il
s'agit d'une spéculation de sa part ou du résultat d'observations microscopiques.
Au fur et à mesure de leur croissance les
pétioles
des bourgeons tendent à devenir horizontaux ramenant les jeunes feuilles
dans la position qu'elles occuperont à l'âge adulte : la pointe de
l'ascidie
reposant sur le sol
l'opercule
étant maintenant situé au-dessus du corps de
l'ascidie.
Une fois leur maturation terminée les urnes commencent à produire le
liquide digestif. Cette sécrétion est sans doute contemporaine de l'ouverture de
l'opercule.
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